Réconciliation du coeur et des sens (Jour 7)

Difficile de prendre mon stylo pour me mettre à écrire ce soir. Léa et Hélo sont en train de monter la vidéo de Kennedy, ce lycéen tellement éveillé qui a réussi à imprimer de manière irréversible son sourire animé, miné d’âme, au fond de nos coeurs déjà débordés. Cela fait une semaine que nous avons posé nos fesses sur la banquette de notre premier taxi tanzanien et nos yeux sur la beauté de notre premier sourire tanzanien. Si premier a rimé avec dernier à propos du taxi, les dallas-dallas étant devenus bien plus à notre goût, ce premier sourire tanzanien fut le point de départ d’un tourbillon insensé et insoupçonné, d’une farandole de sourires tous plus attachants les uns que les autres. Peut-être aurions-nous dû appeler notre blog « jeune sourire tanzanien »…

Je tarde à raconter notre journée car ma tête déborde d’images, de sons, de poignées de main et de couleurs. Mais c’est un débordement sain et jouissif, qui me lave d’un trop-plein de râleries, d’indifférence et d’yeux au ciel parisiens. J’ai la vive impression de me réconcilier avec mes sens, que la vie parisienne aseptisée avait engourdis, annihilés. Ici, on serre les mains comme on offre ses sourires, par paquets de mille ; ici, le rouge, le jaune et le violet ont le droit de se marier pour faire des kitenges des femmes africaines, si belles, si fières, une explosion de couleurs et un ravissement pour les yeux ; ici, quand quelqu’un entre dans une boutique, il a droit à un « karibu » (bienvenue) qui réchauffe le coeur ; ici, la vie bourdonne, constamment, inlassablement, refusant de se dissiper dans la pesanteur de la nuit, et l’on s’habitue à ce bruit de fond de musiques et de voix mêlées qui semble ne jamais devoir cesser.

Nous avions expérimenté les sourires francs, nous avions expérimenté les couleurs pures, le goût du poisson grillé sur les papilles ; il nous manquait une première expérience musicale. Elle nous a été offerte grâce à Emanuel et Constantin de YITA, qui nous ont accompagnées aujourd’hui au studio d’enregistrement d’Uyoga Boga Village (littéralement : « le village champignon citrouille » !). Nous avons passé deux heures, assis par terre au coude à coude, à discuter de leur initiative et de leur association, bercés par une musique aux effluves mystiques. Ibrahim et Mors nous content leur quête de donateurs afin de pouvoir acheter ce petit studio, leur volonté de réveiller la jeunesse, de stimuler son engagement politique, ou simplement sa conscience citoyenne, à travers leurs chansons. Ils chantent leur croyance et leurs rêves de démocratie pour leur pays, nous traduisent quelques-uns de leurs textes les plus engagés et finissent à notre plus grand plaisir par quelques phrases a capella. Voici une de leurs chansons, dont le seul mot qu’on comprend est « elimu » (éducation). Malheureusement nous n’arrivons pas à charger notre chanson préférée qui s’intitule « Miaka Hamsini » (« cinquante ans »), en référence à l’anniversaire de 50ans d’indépendance tanzanienne fêtés en 2011.

Cette journée aura également été marquée par notre interview de Mark, le directeur de YITA, qui plus que sur lui-même, nous en a appris sur la jeunesse. Nous retiendrons son désaccord marqué devant notre affirmation naïve : « La jeunesse, c’est le futur ! ». Non, bien sûr que non, la jeunesse n’est pas le futur, nous assure-t-il. Si la jeunesse est le futur, si c’est demain qu’elle aura un rôle à jouer, alors elle ne servira jamais à rien. Car quand demain deviendra aujourd’hui, la jeunesse ne sera plus jeune ! C’est aujourd’hui que la jeunesse compte, aujourd’hui qu’elle doit agir, tant qu’elle est jeune, justement, pleine de fougue et de désirs fous. La jeunesse, c’est le présent, évidemment !

J’ai mauvaise conscience de finir cet article sans un petit résumé terre-à-terre et pratique : niveau boulot, on n’aurait jamais pensé avoir tant à faire et dormir si peu ! Nous avons jusqu’à présent publié deux portraits vidéo (Lenin et Lucy) et un portrait écrit (Nico). Nous avons fini ce soir le portrait vidéo de Kennedy (YUNA) et nous avons encore beaucoup de portraits à rédiger ou à monter en vidéo… Eric de TYC, les jeunes de YUNA, Emanuel et Constantin de YITA, Elijah de YUNA, avec qui nous avons déjà passé de si bons moments… Les regards, les voix et les rêves se succèdent devant notre objectif mais ne se ressemblent pas. Leur seul point commun est leur fabuleuse volonté de faire quelque chose pour leur société, pour la jeunesse ou pour la paix dans le monde, cet étendard somptueux brandi comme un talisman. C’est à cette volonté, que nous espérons indomptable, que nous songeons le sourire aux lèvres le soir, avant de nous endormir…

Juliette, petit mtoto heureux.

3 réflexions au sujet de « Réconciliation du coeur et des sens (Jour 7) »

  1. Quelle belle correction de Mark qui doit vous déstabiliser, votre slogan « moteur » du début: « la jeunesse, c’est l’avenir » vole en éclat dans sa bouche et à bien y réfléchir, Mark a raison; « la jeunesse, c’est le présent ». Que ce beau slogan devienne vôtre, vous l’illustrez tellement bien.
    Félicitations les filles pour votre enthousiasme, votre folie, votre jeunesse….

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